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  • Etre en état de liberté
  • Le lieu d'où viennent les formes

Etre en état de liberté

Parfois je le cherche désespérément, cet état de liberté.
A chaque geste, je l'espère, et je trace emplie d'inquiétude. Le cercle vicieux s'amorce alors: plus je crains d'abîmer, plus j'abîme, plus je crains, plus j'abîme…
Je ne retrouve la liberté que lorsque ce cercle qui m'enferme me met hors de moi et me force à tracer juste, avec violence.

D'autres fois, sans savoir pourquoi ni comment, j'y suis, dans cet état de liberté.
Je trace, je pose, j'étale, en confiance, certaine que ce sera le bon geste.

A ce moment, je suis en mesure de jouer avec ce que je fais, d'observer ma main traçant, de rire de ce qui se passe sur le papier. Et c'est juste. Et c'est nouveau. Sans désir de réitérer les surprises précédentes.

Ah, si je pouvais y être sur commande, dans cet état de liberté…
Si j'observe un peu, je peux y parvenir lorsque je suis dégagée de tout impératif:
  • pas de contingences de temps (je n'ai pas l'heure dans l'atelier)
  • pas d'idée de publication
  • pas même ce désir d'avoir réalisé quelque chose "de bien" dans la journée
J'y parviens lorsque je suis juste là, dans l'instant, avec moi-même et mon plaisir de peindre, de former une image.
Oui, il y a bien un projet global: montrer ce travail, réaliser des installations de mes moments de peinture, comme autant d'éclats d'instants qui se succèdent et se correspondent, cartographie spatio-temporelle.
Mais si je veux parvenir à cet état de liberté, ce projet doit s'évaporer.

Pour être juste, il me faut être totalement plongée dans le présent.
En état de liberté, il n'y a pas de futur.

Le lieu d’où viennent les formes

J'éprouve ces temps un vif plaisir à tracer lentement. Ce qui me réjouit, c'est que la lenteur du trait ne m'amène pas forcément à vouloir le diriger. Je peux laisser faire, même en douceur. Il ne m'est pas nécessaire de tracer avec force pour trouver le trait juste. J'apprivoise l'instant, j'apprends à me laisser surprendre par les virages subits de mon outil, sans idée préconçue, même en traçant lentement. Je suis prise par les infimes variations du trait, par ses nuances subtiles qui me ravissent au moment même où elles se produisent, malgré moi.

Comme un chemin qui s'ouvre devant moi, le trait se déroule et me découvre son intention au fur et à mesure que je le suis.
Un vrai bonheur, lorsque cela se produit.

On peut chercher de quoi il parle, ce trait, quelles sont les formes qu'il a tracées, d'où elles émanent (de l'inconscient individuel, collectif)… Oui, on peut.

Pour moi, le plus important, c'est ce qui se joue dans l'instant. Ma capacité ou non d'être présente à moi-même. L'autorisation que je me donne ou non de laisser faire, de suivre ce qu'on peut appeler l'intuition. Il s'agit de développer mon rapport au monde dans un registre de justesse plus que d'analyse.

Le passé n'existe plus. Il n'a de sens pour moi que dans les effets qu'il produit dans le présent: effets de forme imprimés ici et maintenant par cette interface interposée entre le monde et nous, comme une peau qui aurait gardé la trace de tous nos frottements au monde, dès l'origine, et qui continuerait de colorer notre regard sur lui.

Cette peau, c'est elle que j'ai plaisir à voir émerger de temps à autre dans mes peintures, dans les répétitions, à travers mon rapport au support et au trait. C'est elle que je consolide, apprivoise et assouplis, en me rapprochant du trait et de la forme justes. C'est elle, que je ne vois pas mais qui me porte lorsque je suis en phase avec moi-même, qui m'oblige à la bagarre lorsque je suis en porte-à-faux.

En épousant ses contours, trait après trait, couche après couche, grattage après grattage, je tente de l'apprivoiser, de conquérir un espace plus vaste, ce sentiment de complétude.


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