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Différents niveaux de réalité

Je m'aperçois qu'on peut prendre en considération différents niveaux pour représenter de ce qui est, par la création plastique:

La réalité extérieure, celle qu'on embrasse par le regard et dont nous rendent compte nos perceptions, articulées à notre structure: expérience, souvenirs, culture, savoir…;

Les fantasmagories, les évocations: la réalité extérieure, à laquelle vient se surajouter tout le domaine de l'imaginaire qui pivote autour de notre univers de sentiments, teinté par la mémoire de notre rapport au monde;

Et il y a la réalité intérieure: le monde des sensations, des affects ou états d'être, bruts de décoffrage.

C'est ce dernier niveau qui m'intéresse. J'éprouve un réel besoin de connaître, instant après instant, l'état de ma météo intérieure, et ce niveau de réalité intérieure est pour moi le plus profond et le plus juste.

Lorsque je crée et que je parviens à être en lien sans fard avec ce niveau-là, c'est comme si je grattouillais en même temps que mon support des strates profondes en moi et qu'un lien direct s'établissait avec le monde des sensations de corps, pas même élaborées en sentiments, tout en mouvement, vivantes, encore toutes chaudes.

Ce n'est finalement pas d'exposer sur le papier ce peuple des tréfonds qui m'intéresse, mais qu'au moment où je crée, le lien qui s'établit avec ce monde me procure une sensation d'être juste, alignée, en phase avec moi-même; c'est cette sensation-là que je recherche.

Ce qui reste sur le papier, ce ne sont que des scories. Des mues, des traces d'un instant passé.

Et lorsque mon geste est vraiment juste, libre, débarrassé de toute bienséance, ce que je vois apparaître sur le papier est à la fois mien et non mien, simultanément neuf et déjà vécu.

Ce n'est pas le résultat volontaire d'un savoir acquis, c'est l'intersection inopinée dans le plan de la feuille des gestes d'une vie et d'un état affectif immédiat.

C'est justement la précision de cette intersection qui me ravit… lorsqu'elle produit.

Les strates

Parfois, apparaît d'abord un dessin très conventionnel, dicté par le savoir-faire, l'encre apprivoisée, le geste connu. J'en suis un peu satisfaite, j'aime la trace, le grain visible du papier, le mouvement, agréable à l'œil. C'est tout.

La plupart du temps, cela ne me suffit pas: tout n'est pas dit.

Sur le même dessin ou sur un autre, je continue.
Guidée par cette sensation, de la surface je descends juste en-dessous de la peau, dans une sorte de zone-tampon au-dessus de mes émotions, déjà un peu perceptibles, mais pas vraiment en contact avec elles. Un peu comme sur un matelas pneumatique posé sur la mer: j'en sens alors les mouvements, mais je n'y suis pas plongée. Je flotte au-dessus, portée par la force d'Archimède, sans me mouiller.

Certains jours, je dois en rester là. D'autres, je suis assez disponible pour continuer.

Là, je peux alors plonger vraiment.
J'oublie l'image.

Bonheur d'abord, liberté retrouvée, intensité de l'instant, être…
J'oublie les mots.

Ce n'est plus moi qui trace. Plus de je. Seulement du jeu.
Juste vibrer à l'unisson et jouer avec ce qui se traçe.

En regardant ce genre de dessins, j'ai encore ce sentiment d'unité qui n'est pas lié à leur aspect extérieur, à leurs qualités visuelles. Il ne sont pas flatteurs de mon ego: je me sens chacun d'eux, c'est simplement moi. Il sont justes, reflets changeants des mes émotions de l'instant, de mon corps, de mes sensations.
Lorsque je les regarde, je m'y promène, je m'en délecte, je m'y roule. Il sont image, mais il sont toucher, mouvement, tiédeur, enveloppement, stimuli visuels, sourd et calme clapotis, vibrations.

Lorsque je parviens à ce niveau de cohésion dans un dessin, je ne supporte pas la vue policée, lisse, vide de ceux qui n'ont pas cette densité… Il m'arrive alors – on dit: de les reprendre –. Le mot juste serait plutôt: de les attaquer à l'encre et au crayon, jusqu'à ce qu'ils parlent vrai.


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